Game Design - 23/04/2021

Récit de trois apprentis GD dans le bateau de la création

En février 2021, trois étudiants en bachelor Game Design, Clara, Gaël et William, décident de se lancer dans leur première game jam. L’objectif : créer un jeu vidéo en trois jours, à trois, à partir d’un thème préétabli. Cela aboutira à la naissance de Big Sister, un jeu de gestion minimaliste. Dans ce texte, ils abordent le fonctionnement du jam, les conseils pour bien vivre son expérience mais aussi les travers et les risques que peuvent comporter ce type d’exercice, pourtant très valorisé dans l’industrie. 

1 - Qu’est-ce qu’une Game Jam et comment y participer ? 

Avant que l’on se lance dans “Comment faire une Game Jam ?”, commençons avec un petit aparté : Qu’est-ce qu’une Game Jam ? 

Une Game Jam est un événement social et créatif, où plusieurs personnes divisées en groupes doivent inventer, designer, et faire fonctionner un jeu sur un thème donné, et dans un temps donné, souvent limité. Les groupes peuvent commencer à partir d’une personne, et le thème n’est bien évidemment pas connu à l’avance. 

Normalement, une grande partie des Games Jams est réalisé dans un endroit prévu pour accueillir pas mal de personnes et est limité à certaines contraintes (comme le fait d’être proche du point de rendez-vous, d’être soumis à une demande d’inscription, ou bien de faire partie d’un établissement scolaire par exemple), mais avec les récents événements, et parce que c’est plus simple de s’y retrouver, les Games Jams par internet se font une bonne place dans l’international (comme GMTK Game Jam, ou Mini Jam). Un endroit d’ailleurs pour les trouver plus facilement est sur itch.io, dans la catégorie “Jam”. 

Le fait de pouvoir choisir une Jam parmi plusieurs sur le net permet de se mettre dans sa zone de confort, ou bien de choisir son défi favori à relever. Mais, il faut faire attention à toutes les règles qu'il propose : le temps pour réaliser le jeu, la date butoire, si la Jam à déjà commencé ou non, s’il y a d’autres règles en plus du thème pris en compte, etc.

Il ne vaut mieux pas choisir au hasard, dans ce cas, mais rien ne sert non plus de perdre 3h à choisir la meilleure. Simplement regarder le temps qu’on a devant soi, et les autres membres du groupe qui souhaitent participer au projet permet de s’en limiter à un bon nombre. Quelqu’un peut très bien réaliser un projet en 72h, alors qu’une équipe de 4 personnes serait plus à l’aise dans une Game Jam d’une semaine voir plus. 

2 - Comment et avec qui travailler ? 

Étant plus familiers des jam en équipe c’est de ce sujet que nous vous parlerons aujourd’hui. Il existe des développeurs participant à des jams en solitaire, mais cela demande d’avoir une grande polyvalence dans différents domaines. N’ayant pas cette expertise, nous n’aborderons pas ce sujet aujourd’hui. 

Jammer en équipe si cela permet souvent de pousser plus loin les projets peut parfois représenter en soit un défi supplémentaire car cela nécessite de l’organisation et une bonne communication. 

Pour constituer son équipe il faudra déjà trouver quelques personnes motivées et avec qui vous vous sentez de travailler de manière plus intense que la normale pendant la durée du défi. 

Nous vous recommandons donc de prendre des personnes de confiance, avec qui vous avez une vision assez similaire des jam pour maximiser la cohésion d’équipe. Et si en plus vous avez déjà travaillé un peu ensemble par le passé cela peut être un véritable atout pour l'efficacité de votre groupe. 

Je pense que l’on aurait pu commencer l’article par ça, mais comme pour énormément de choses dans la vie, une des clefs pour une jam réussie c’est de bien communiquer. 

Comme pour tout travail d'équipe, il est vital pour le projet que chacun possède toutes les informations nécessaires pour éviter les erreurs de compréhensions, les “je croyais que” et autres emmêlages de pinceaux qui pourraient faire perdre le temps précieux dont vous disposez. 

Il faudra donc dès le début prendre un temps pour statuer ensemble sur la taille du projet, sa direction et la répartition des tâches selon les capacités et envies de chacun. Le temps de planification n’est jamais du temps perdu, et il permet souvent d’anticiper des erreurs et gagner du temps par la suite. 

Parfait, vous avez votre équipe, un projet et les tâches sont réparties. Il est maintenant temps de se mettre à l'ouvrage ! 

3 - Se lancer dans le bain de la création et mesurer ses ambitions 

La jam ne doit jamais être trop pénible, il sera toujours plus enrichissant pour les membres de créer et se challenger dans un environnement sain que dans l’inconfort. De ce fait il y a une réalité que vous devrez accepter dès le début du projet : votre jeu ne sera pas aussi abouti que vous l’imaginez, et c’est normal. 

Créer un jeu, c’est énormément de travail, toutes les tâches prennent toujours plus de temps que prévu et peut-être aller vous faire face à des imprévus qui vont ralentir le développement (spoiler : ça va arriver). 

A partir de là, jaugez bien le scope de votre projet et ne partez pas dans quelque chose de trop ambitieux. Mieux vaut avoir un jeu très simple mais efficace plutôt qu’un jeu qui se perd dans une multitude de mécaniques qu’on aurait pas eu le temps de bien cadrer. D’ailleurs, le conseil que l’on pourrait vous faire serait de partir sur une seule mécanique de jeu mais de bien la cerner et l’approfondir pour en proposer une déclinaison fun. Enfin, partir sur un petit projet, c’est aussi la certitude d’avoir quelque chose de propre à la fin (et donc d’exploitable dans un portfolio).

Si vous voulez des exemples de jeux qui répondent plutôt bien à la contrainte de la mécanique unique, n'hésitez pas à aller voir Portal, qomp, Papers Please ou encore Mini Metro. 

4 - La jam et la culture du crunch : les deux faces d’une même pièce ? 

Etant donné le temps limité dont on dispose pour mettre en œuvre son projet, il peut être très tentant de vouloir exploiter la moindre miette de temps mise à disposition. Si cela peut paraître une bonne stratégie pour pouvoir produire un maximum de choses, c’est en réalité plutôt destructeur. 

L'épuisement physique et mental arrivera vite si l’on ne décroche pas du projet. Il est fréquent que les créateurs et créatrices fassent des nuits blanches en jam, ce qui peut sembler une bonne idée car cela nous alloue du temps supplémentaire que l’on aurait “perdu” sur le projet en dormant. 

Cela reste pourtant destructeur, aussi bien pour nous que pour notre travail. Nous restons humains et il est vital pour nous de nous reposer, si bien que lorsque l’on s’épuise notre capacité de travail diminue grandement et nous sommes plus enclins à faire des erreurs. Erreurs qu’il faudra par la suite corriger. (A moins que la fatigue nous fasse passer à côté de ces dernières, auquel cas c’est la double peine) 

Une jam même si elle représente une quantité de travail plus élevée que ce que l’on produirait normalement dans la même durée ne doit pas être un moment de “souffrance”. C’est quelque chose qui est très glamourisé dans le milieu du développement et qui découle directement de la culture du crunch. Il est “bien vu” de lutter corps et âme pour créer ses jeux, d’aller repousser ses limites et puiser dans ses dernières ressources pour aller jusqu' au bout.

C’est une manière de créer destructrice et peu respectueuse de l’humain qui fait des ravages dans notre industrie et il est nécessaire que même pour de courtes durées nous fassions attentions a garder des conditions de travail et un rapport à la création sain. 

Nous vous recommandons donc de dormir suffisamment pendant vos jam, de décrocher régulièrement pour prendre des pauses, aller prendre l’air, faire autre chose. Bien vous alimenter et ne pas trop forcer sur la caféine ou les boissons énergisantes. 

Cela permettra en plus de ne pas ressortir absolument lessivé de l'expérience (même si on ressent toujours en général une certaine fatigue à la fin). 

Prenez soin de vous, et de vos coéquipiers, veillez les uns sur les autres et si vous les voyez faiblir rappelez- leur qu’ils peuvent aller se reposer. 

Ne vous mettez pas de pression monstre, ce n’est qu’une game jam. 

Aucun processus créatif aussi cool et intéressant soit il ne mérite que l’on se tue à la tâche. Même si vous êtes tout à fait en droit d’avoir des attentes élevées pour votre projet, essayez de ne pas imposer trop de pression à vos coéquipiers. 

Quoi qu’il se passe votre game jam ne sera jamais ratée. 

Peut être que vous n’atteindrez pas le but escompté ou peut être que vous aurez même du mal a sortir quelque chose. 

Mais même dans ces cas-là, cela restera une expérience enrichissante que vous aurez pu partager et qui vous aura permis d’apprendre tout un tas de choses auxquelles vous n’auriez peut-être pas été confronté autrement. 

5 - Publier son jeu ou l'étape cruciale trop souvent sous-estimée 

Nous arrivons maintenant sur la fin de la game jam, vous avez terminé votre jeu ! Ou du moins, vous êtes allé aussi loin que possible sur le temps que vous aviez. C’est normal et c’est très bien, soyez fiers de vous.

Maintenant, il vous faut “shipper” votre jeu, autrement dit, le rendre accessible au public. Un conseil, ne sous-estimez pas cette partie. 

Shipper un jeu correctement, ça prend du temps et c’est quelque chose que l’on aurait bien aimé savoir pour ne pas avoir à le faire à 3h du matin. 

Le moyen le plus efficace, c’est de passer par itch.io, site de référence en matière de jeux indépendants. 

Il vous faut donc préparer une jolie page pour votre jeu, pour inciter les gens à y jouer. Votre jeu aura beau être le meilleur du monde, si vous ne donnez pas envie aux gens de l’essayer, tous vos efforts n’auront servi à rien. 

Prévoyez donc du temps pour : 

  • Ecrire une description en anglais de votre jeu. 
  • Faire la miniature de la page et l'icône de votre exécutable. 
  • Prendre des screenshots de qualité, représentatifs de votre gameplay.
  • Créditer tous les auteurs, notamment si vous avez utilisé des assets externes.
  • S’assurer que votre exécutable tourne correctement une fois exporté.
  • Remplir la fiche itch et notamment choisir vos tags de référencement.
  • Si vous avez encore du temps, faire un trailer. 

Enfin, dernier point très important : Itch.io propose une section “Fresh Games” sur sa page d'accueil, ou sont constamment affichés les douze derniers jeux publiés sur la plate-forme. C’est un sacré boost de visibilité mais vous n’y avez le droit qu’une seule fois, assurez vous donc que votre page itch soit au top avant de publier votre projet. 

Si vous avez fait un jeu en 2D ou en 3D, dites le. Est ce qu’il a un style ou un gameplay particulier, montrez le, c’est ce qui fera la force de votre communication. Et bien sûr, ne faites pas du ClickBait. Évitez de dire des choses qui ne sont pas présentes dans votre jeu, et évitez au maximum de donner de trop hautes attentes par cette description breve.

6 - L’Après Jam : Je fais quoi maintenant ? 

Voilà, votre jeu est posté. 

Profitez des prochains jours pour faire le bilan de votre jeu et surtout de votre expérience de travail. Etes vous content de votre jeu ? Avez-vous apprécié travailler en équipe avec vos coéquipiers ? Si c’était à refaire, vous changeriez quoi ? 

Pas besoin de répondre à toutes ces questions de façon formelle mais ne serait-ce qu’y réfléchir vous aidera à vous améliorer sur les jams à venir. 

Maintenant que tout cela est bouclé, il est temps de se reposer. 

Même en ayant fait attention à son rythme une jam reste un expérience intense, il est normal de se sentir saturé par le processus créatif. 

Si vous en avez la possibilité n’hésitez pas à déconnecter un peu, prendre une journée/demi-journée off si besoin pour simplement vous reposer et sortir de la boucle infernale de la productivité dans laquelle vous étiez. 

Vous pouvez être fier de vous et votre équipe, même si ce que vous avez conçu n'était peut être pas tout ce que vous aviez prévu vous avez fait de votre mieux. 

Dites à vos coéquipiers ce que vous avez apprécié dans leur travail, ce pour quoi vous étiez content de les avoir à vos côtés. 

7 - Diffuser son jeu et obtenir des retours 

Une fois un peu de distance mise entre le projet et son rythme effréné il sera plus facile d'accueillir les retours des autres. 

N’hésitez pas a demander a toute les personnes à qui vous avez partagé de vous faire des retours sur leur expérience, cela peut mettre en lumière des choses que vous n’aviez pas soupçonné (pour le meilleur et pour le pire). 

Certains retours peuvent être douloureux, les gens ne prennent parfois pas la peine de prendre des pincettes et vont peut être “démonter” votre projet.

Essayez de ne pas prendre tout cela trop à cœur. 

Il est normal d’être blessé, vous avez mis corps et âme dans ce projet, mais apprenez à faire le tri et essayez de prendre la place des joueurs et joueuses n’ayant aucun lien avec le projet quelques secondes. 

Aussi douloureuses soient-elles, ces critiques (si elles sont constructives évidemment) ne pourront que vous aider à mieux envisager les projets futurs. 

Si l’on vous dit : 

“Je ne comprends pas le jeu, j'étais perdu”, pensez à travailler sur vos tuto “Je n’ai pas eu l’impression que mes actions avaient un effet”, la prochaine fois passez plus de temps sur les feedbacks 

“J’ai été frustré par la difficulté trop haute/inexistante”,accordez plus de temps à l'équilibrage… 

Dans tous les cas votre jeu ne sera pas parfait, et c’est normal, ça fait partie de la chose. 

Pour vous assurer un maximum de retours pensez à partager au maximum ce que vous avez fait. 

Vous avez un twitter ? Faites un tweet ! Une page Facebook ? Allez-y ! Un compte Reddit ? Pourquoi pas ! Des gens proches qui aiment les jeux vidéos ? Qu’attendez-vous ! Toutes personnes, surtout si elles ont des profils variés, vous permettront d’avoir un angle différents dans les retours. 

Si vous êtes en école de game design, n’hésitez pas à envoyer vos jeux à vos professeurs. Un retour de joueur, c’est très cool, mais un retour de professionnel, c’est encore mieux. Ils sauront généralement lire entre les lignes de votre jeu et comprendre ce qui ne fonctionne pas et pourquoi. 

Et si vous n’êtes pas en école, rien ne vous empêche de contacter un professionnel par vous-même (la communauté Game Dev sur Twitter est très active). 

Bien sûr, ne soyez pas rustre et mettez-y les formes, mais vous serez surpris de constater à quel point, dans beaucoup de cas, les pro du milieu sont disposés à aider les débutants.

8 - Mais que va devenir mon jeu maintenant ? 

Maintenant que vous avez partagé votre jeu, dormi un peu et obtenu des retours, une dernière question se pose : Faut-il retravailler votre jeu ? 

Pour le coup, la réponse dépend de vous. On aurait malgré tout tendance à vous conseiller de fixer les petits trucs que vous auriez pu laisser traîner par manque de temps : un bug mineur, un asset manquant, des écrans titres, etc. 

Bref, sans forcément rajouter d’éléments de design, faites au moins en sorte d’avoir un jeu propre. 

Ensuite, rien ne vous empêche de pousser le jeu plus loin. 

On ne compte plus le nombre de jeux nés en jam et devenus des projets commerciaux par la suite. Ayez simplement conscience que, si vous vous lancez là- dedans, vous vous apprêtez à y investir énormément de temps et d'énergie. 

Il n’y a pas de honte à laisser un projet de jam tel quel, si vous considérez ne plus rien avoir à dire dessus, bien au contraire. 

Vous pourrez parfaitement le mettre dans un portfolio pour montrer ce que vous êtes capables de faire en 72h, ce sera tout aussi valorisant. 

Finalement, ce qui compte dans un processus créatif, ce n’est pas tant le jeu final mais le voyage qu’on a parcouru. 

9 - Faire le point sur le parcours de jam 

Nous y sommes, vous avez fini votre jeu, vous l’avez testé, vous avez eu des retours, et vous avez potentiellement polis le tout après la Game Jam. 

Et maintenant ? Que faites-vous ? Si c’est votre première Game Jam, vous aurez peut être envie de vous lancer à nouveau dans un autre concours, en prenant en compte les erreurs faites avant, mais minute papillon ! 

Vous n’avez, pour l’instant, qu’une seule vision à chaud de votre projet, prenez le temps de laisser tout ça mariner un peu, l'expérience qui en ressortira n’en sera que bonifiée.

Prenez du recul, du temps, jouez à autre chose, inspirez-vous et laissez passer de l’eau sous les ponts. 

Vous pourrez regarder votre projet avec un point de vue plus neutre, afin de découvrir tout ce que vous n’avez pas vu, et aussi comprendre certaines critiques de vos joueurs. Bien sûr, vous n’avez pas oublié tout ce que vous avez fait pour en arriver là, et c’est justement là où votre nouvelle vision fait la différence. 

Vous êtes à un moment où vous savez ce qu’il s’est passé avant, pendant, et après la création de votre jeu, avec le recul nécessaire pour ne pas surévaluer votre projet, et avec l’envie de faire mieux. 

C’est aussi à ce moment-là que vous pouvez faire un “Post-mortem” de votre création, où vous notez ce qu’il s’est bien passé, mal passé, et comment vous pouvez améliorer le tout, que ce soit sur le fond, la forme, les idées, le challenge que vous avez eu, l’équipe qui vous a aidé ou encore l’organisation de tout le projet. 

Et à partir de là, vous pouvez commencer à vous demander si vous pouvez reprendre une autre jam en ayant de nouvelles connaissances sur vos capacités, les objectifs qui vous intéressent, les nouveaux challenges que vous voulez relever 

En bref, n’ayez pas peur de tenter l'expérience, soyez bienveillants envers vous, votre travail et vos coéquipiers. Partagez, profitez et laissez parler votre créativité. 

Gaël Alonso, Clara Laborderie, William Bacher

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