M : Bonjour Grégoire, merci de nous recevoir pour cette interview qui répondra à la question : “comment passer de joueur à créateur”. Est-ce que tu peux tout d’abord te présenter en quelques mots ?
Bonjour Maëlle, bien sûr ! Je suis Grégoire Clémençon, concepteur et responsable pédagogique du cursus Game Design à l’Institut Artline qui est découpé en 5 années : 3 années pour le cycle de niveau Bachelor et 2 années pour celui de niveau Mastère. Ancien game designer de jeux à Ubisoft, je pratique toujours la création ludique et je suis consommateur de jeux tous supports.
M : Merci ! Une première question me vient donc en tête au regard de l’intitulé de l’interview, est-ce qu’il faut impérativement avoir été ou être joueur pour créer des jeux à son tour ?
Très bonne question ! Déjà, jouer fournit évidemment des références donc cela est naturellement très utile à la création et à la compréhension des codes du monde ludique. Mais finalement qui peut se prétendre joueur ? Tout le monde en réalité. L’homme joue depuis la nuit des temps et ce dès son arrivée sur Terre : la pratique ludique est essentielle à son évolution car elle lui permet de se perfectionner, de s'entraîner à faire face à des situations sans enjeux. Le jeu est même profondément animal : des lionceaux pourront par exemple s’amuser à se courir après en simulant la chasse et ainsi tester leur rapidité, leur réactivité, leur sens de l’observation. Bien évidemment les pratiques ludiques d’un homme évoluent au fil de sa vie au regard de ses besoins, ses envies, son expérience de vie mais aussi ses compétences et bien sûr, ses désirs de divertissement. Donc si on part sur ces principes, oui ce qui va suivre concernera tout le monde, car tout le monde est joueur !
M : Je vois ! C’est vrai que vu comme ça, tout le monde qui en a l’ambition peut se prêter à l’exercice. Mais alors si on va plus loin, qu’est-ce qui différencie les deux activités ?
Il faut bien comprendre en effet que même si le fait de jouer et de créer sont deux choses qui sont intimement liées, il y a malgré tout une grande différence. Par joueur, on entend consommateur, pratiquant, le fait de jouer. Créer des jeux n’est pas la même chose : cela demande des compétences métier, une expertise et du temps. On croit souvent que le fait d’aimer jouer voire d’être bon à ces derniers suffit pour devenir créateur, mais ce n’est pas le cas. Il faut être prêt à comprendre que si l’on souhaite créer, on va enfiler les chaussures d’un créatif et appliquer des méthodes de travail qui permettront justement de créer un jeu. Et c’est effectivement ce savoir-faire qui pourra ensuite faire l’objet d’un métier dans le secteur du jeu, être reconnu par des studios et faire l'office d’une embauche avec rémunération. Car oui, les jeux sont bel et bien créés par des professionnels, tout du moins pour les jeux vidéo : ce sont les développeurs.
M : J’imagine qu’il faut être plusieurs pour créer un jeu vidéo. Dans ce cas, quelles sont les possibilités qui sont offertes au regard de cela ?
C’est exact. Un jeu s’exprime par de nombreuses dimensions : l’aspect ludique tout d’abord, car on parle bien de jeu et des interactions qui se cachent derrière, évidemment et non d’une série TV ou d’un livre. Un jeu vidéo peut aussi s’exprimer sur un aspect narratif plus ou moins présent (selon le jeu), une dimension visuelle, sonore et enfin technique. Cela fait beaucoup de choses à prendre en compte et on peut se demander finalement qui fait quoi. Le jeu vidéo, dans ses origines, était conçu par un individu qui prenait en charge l’ensemble de ces dimensions, les premiers jeux vidéo étant plus minimalistes à cette époque (à partir des années 50). C’était une approche plus naturelle et qui s’adaptait avec les possibilités du moment. Avec le temps, le jeu vidéo étant devenu une industrie prolifique, il s’est de plus en plus professionnalisé. Avec des possibilités ludiques et techniques toujours réinventées, les jeux d’aujourd’hui sont développés à plusieurs. Les effectifs peuvent monter à plusieurs centaines de développeurs sur le même jeu, sur une durée de production allant de quelques mois à plusieurs années de développement. Chaque développeur se spécialise donc sur un domaine.
On retrouve ainsi le célèbre trio bien connu du designer, de l’artiste et du programmeur. Le game designer est celui qui conçoit l’interactivité et les règles qui vont avec. Le game artist s’occupe de l’esthétique du jeu tandis que le programmeur s’occupe de tout ce qui est technique / informatique. Mais le panel des développeurs est encore plus large avec des métiers tournant autour de la production, à savoir le producing : le fait de réussir à travailler ensemble, s’organiser, veiller à produire le meilleur jeu possible tout en jonglant avec les ressources temporelles et financières à disposition. Il y a d’autres métiers également comme le sonorisateur, le testeur qualité, le data analyst et bien d’autres encore. Il y a aussi les postes à responsabilité, ceux qui se chargent de veiller à une cohérence créative (qui peut d’ailleurs être transverse) ou technique. Plus l’industrie évolue et plus de nouveaux métiers émergent. Toutefois, le jeu vidéo indépendant s’inspire aussi un peu des origines du jeu vidéo, et certains développeurs pourront prendre en charge différentes dimensions d’un même projet, même s’ils seront forcément plus forts dans un domaine par rapport à un autre.
M : Tu disais tout à l’heure être responsable pédagogique dans des formations à destination du secteur du jeu, est-ce que tu peux nous dire quelles sont les problématiques qui existent au fait de devenir un professionnel créateur ?
Aujourd'hui, les jeux vidéo sont plus complexes à réaliser. Il y a de réelles compétences qui sont attendues et cela ne s’invente pas ou plus. Les recruteurs auront des attentes précises et il y a de la concurrence dans ces métiers passion. Et même si vous ne souhaitez pas vous faire recruter pour fonder votre propre studio, il est nécessaire de se former, de disposer des bons savoirs et bons savoir-faire et de les acquérir d’une manière plus concise, qui rappelons-le, est le but des études : côtoyer les bonnes personnes, entendre les bons messages et monter dans un train en marche. Il y a 20 ans de cela, cela était peu ou pas possible, mais aujourd’hui il existe des formations comme les nôtres qui permettent justement de devenir diplômé et compétent pour le secteur du jeu et ce, peu importe l’âge du candidat.
M : À ce titre, comment cela s’est passé pour toi au niveau de tes études ?
Quand j’ai commencé mes études, les écoles du jeu vidéo n’étaient qu’émergentes. Il était difficile de vraiment bien se renseigner sur le sujet. Travailler dans le jeu vidéo, c’était comme vouloir faire un voyage sur la Lune. Je savais que cela était possible mais ce rêve me semblait dur à atteindre. J’ai donc fait très vite preuve de pragmatisme et j’ai d’abord été diplômé en programmation et dans les techniques liées à l’image et au son pour appréhender ce rêve avec de sérieux pré-requis. Aujourd’hui, ce détour n’est plus spécifiquement nécessaire : il est totalement possible d’effectuer des études dans le jeu à n’importe quel moment et dès le départ.
M : Quelles sont selon toi les qualités requises qui permettent d’effectuer la bascule, les pré-requis nécessaires pour devenir créateur ?
Il faut tout d’abord se montrer passionné, mais cela ne suffit pas. Si vous voulez vous positionner en tant que créatif, il est important dans un premier temps de se montrer curieux et ouvert d’esprit. Pour créer, il faut avoir des références en tête pour ensuite à son tour proposer autre chose. La curiosité est essentielle car si vous vous fermez des portes, vous ne ferez pas preuve de souplesse dans un milieu qui évolue en permanence et où l’innovation est de mise. Le jeu vidéo étant destiné à des joueurs et le jeu vidéo étant développé à plusieurs, faire preuve d'empathie et disposer de bonnes compétences interpersonnelles est indispensable. Je vois souvent des candidats ou des apprenants qui pensent par exemple que la technique sera la clef d’un bon niveau à atteindre. Oui, les outils sont importants mais ce ne sont justement que des outils, des moyens pour arriver à des fins. Il ne faut donc pas penser qu’en maîtrisant les outils numériques, le plus gros sera fait : bien au contraire. Les compétences comportementales ou soft skills voire les mad skills, les compétences atypiques, font aussi aujourd’hui toute la différence entre différents profils qui maîtrisent justement les mêmes outils.
M : Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur les formations orientées jeux de l’Institut qui justement visent à cette montée en compétences ?
Nous avons conçu des parcours professionnalisants, complets mais aussi passionnants au regard de ces objectifs.
Nous avons tout d’abord une année préparatoire commune qui initie nos cycles que vous vivrez en compagnie de notre responsable pédagogique Sébastien Bigaré. Elle permet de découvrir les différents métiers du jeu vidéo puis d’effectuer son choix d’orientation. Cette même année permet aussi de s’habituer à notre format distanciel, de s’habituer au rythme de travail et de comprendre les tenants et aboutissants liés à ces différents métiers. C’est une année essentielle pour être immergé dans le milieu et comprendre que c’est en équipe que des jeux seront réalisés. Un choix vous sera alors ensuite proposé en fin d’année dans le but de vous spécialiser : celui de vous orienter vers le Bachelor Game Designer ou vers le Bachelor Game Artist. Du côté game design, vous aborderez ce qui se cache derrière un métier de designer ou concepteur. Vous proposerez de nouveaux concepts de jeux et en définirez l’interactivité, en structurant un système de jeu général structuré en gameplays et mécaniques de jeu. Vous apprendrez au fil des années comment vous forger une véritable âme de game designer et devenir opérationnel dans le secteur. Cela passera notamment par le fait de se cultiver et de s’intéresser au jeu au sens large, dont notamment le jeu de société qui est un moyen pédagogique idéal pour créer sans contraintes techniques, pouvoir équilibrer du contenu. Tout ce qui est en rapport avec le level design et le narrative design sera aussi traité au fil du temps.
Du côté du game art et aux côtés de sa responsable pédagogique Kim Fournel, ce sera une sensibilité artistique que nous ferons développer en vous et nous vous enseignerons les techniques pour produire des éléments visuels de jeu en 3D, que cela soit des décors, des personnages ou des petits objets du jeu. Effectuer des études est un chemin progressif à vivre divisé en plusieurs années (cycle Bachelor et cycle Mastère). Chaque année raconte quelque chose, c’est un peu comme si on visionnait les saisons de Game of Thrones, il y a une suite et une progression logique dans tout cela, chaque épisode est important. Dans ces différents contextes, vous serez encadrés par différents mentors qui sont des professionnels toujours en activité dans le milieu du jeu et vous serez confrontés à la réalisation de nombreux projets pour vous constituer un solide portfolio que ce soit en individuel ou de nouveau en équipe.
M : Merci Grégoire pour tous ces partages, est-ce que tu as un dernier mot pour clôturer cette interview ?
Il faut croire à ses rêves. Si vous lisez ces mots, c’est que vous avez déjà effectué le premier pas, donc à ce titre : bravo ! Créer des jeux, c’est possible. Mais par contre il faut s’en donner les moyens. Je vais citer Jim Rohn qui est un entrepreneur, écrivain et coach américain. “Vous avez des ambitions mais vous n’avez pas encore le niveau adéquat ? Vous devez choisir : soit modifier vos rêves ou améliorer vos compétences pour les atteindre.” Une chose est sûre, nous serons là pour vous aider dans cet accomplissement. Le monde du jeu n’a pas fini de faire parler de lui et de passionner tout un chacun.